Rater une photo est un art que les professionnels abandonnent trop souvent aux amateurs, qui se contentent d’échouer à réussir une photo. Or réussir une photo ratée exige des compétences multiples, qui vont de la connaissance précise des limites d’un appareil jusqu’à la maîtrise intime des sujets qui “font” ratés.
Dans ce registre photographique, le Game Boy Camera mérite une place de choix. Avant-goût.

Tout d’abord, il convient de distinguer deux choses que l’on assimilera par la suite dans le terme (affectueux) de “photo ratée”. Seront dites ratées à la fois des photos qui ont été obtenues en jouant sur les limites techniques d’un appareil, sur les conditions ou le moment de prise de vue, mais aussi celles dont le sujet s’apparente au kitsch, au cliché (le chien triste et son pourtour pointillé, une des images par défaut du logiciel).

On suivra pour ce voyage la plupart des catégories distinguées par Thomas Lelu dans son Manuel de la photo ratée (argentique et, un peu, numérique). Enfin, l’essentiel des photos qui seront prises en exemple sont tirées de photos personnelles d’utilisateurs retrouvées dans des Game Boy Camera (GBC) d’occasion. Qu’ils prennent cet article comme un hommage. Pour les quelques autres, ils se plaindront sans doute dans les commentaires.

L’APPAREIL

La GBC est un instrument de choix pour qui veut rater ses photos. Ses limitations techniques (un temps minimum d’exposition relativement long, 4 niveaux de gris) sont des outils précieux qu’il faut pourtant maîtriser finement : il ne s’agit pas de rater son effet sans le vouloir.

Sur et sous-exposition



Classique de la photo ratée, la surexposition permet à peu de frais de signaler un moment printanier, voire la morsure du soleil sur la photo du milieu, figurant un Dyonisos mangé par la lumière (notons ici que l’artiste a souhaité appuyer cette idée par un heureux contre-jour).
À droite, la sous-exposition permet d’installer cette légère angoisse du lendemain des soirées alcoolisées : le buveur est-il toujours vivant ? Le dormeur tel Pharaon dans son sommeil éternel, ainsi que le grain de l’image se rapprochant d’un saint-suaire, créent une atmosphère de mystère antique.



Jeu encore avec la lumière, le contraste permet de transfigurer des scènes quotidiennes en dramaturgies grecques. À droite, un contraste légèrement assombri, et c’est toute l’oeuvre de Nietzsche qui est convoquée pour faire sentir la mort de Dieu, et la solitude infinie et angoissée de l’Homme.

Le cadrage



Le cadre dans le cadre pourrait à terme devenir un sujet, ou du moins un motif, à part entière à l’avenir. Ses qualités pour figurer un vertige, une réflexion méta-linguistique sur la définition même de la photographie, ne sont plus à démontrer.
À droite un autre classique, le mauvais cadrage, qui laisse ici apparaître la beauté du lieu que cette jeune fille semble vouloir ignorer.



Particularité de la prise en main de la GBC, elle est tête en bas sur Game Boy Advance SP. Bien utilisée, elle permet de simuler un amateurisme délicieux.

La photo altérée

La Camera n’est pas le seul appareil avec lequel le photographe devra compter pour réussir à rater ses oeuvres. Le Game Boy Printer y jouera aussi sa part. Ainsi, lorsqu’il devient vieux, il arrive souvent que l’image soit imprimée striée, griffée par une aiguille qui n’a plus la précision d’avant.
Si votre Printer est récent, pas d’inquiétude pour autant : imprimées sur du papier thermique, les photos s’altèrent naturellement au bout de quelques mois, gagnant des couleurs rougeâtres à mesure de leur disparition. Rien n’est jamais perdu, il est toujours temps de rater.

LE SUJET

L’air triste



Motif goûté par tous les connaisseurs, les photos dites d’air triste sont aussi très faciles à réaliser: prenez vos proches au dépourvu, ou à l’usure ; la première et la dernière d’une série relèvent souvent de l’air triste. À gauche, l’auteur a voulu égayer le sujet d’un délié volontairement maladroit.
À droite, la sous-exposition renforce encore l’impact du motif de l’enfant triste, cliché roi parmi les photos ratés.

L’air drôle



Pendant du précédent, l’air drôle est également très apprécié. Aidé par un mauvais cadrage, la photo de famille de droite prend ainsi des atours inquiétants pour ce pauvre enfant à l’air si joyeux et innocent.

La photo de fête est une sous-catégorie également très prisée.

L’air bête



Formidables sujets photographiques, l’air bête, comme les chansons massacrées lors d’une soirée devant Singstar, sont parmi les ingrédients obligatoires d’une soirée réussie.

Par sa relative furtivité et son apparence de jouet, la GBC permet souvent de contourner les défenses des sujets : la plupart du temps, ils font les idiots, ou n’y prêtent pas attention : à droite, c’est toute la goinfrerie de ce convive qui s’exprime dans sa manière d’avaler son chip.