La scène se passe à la toute fin de l’été ; entre août et septembre je dirais. Il est un peu plus de 8 heures du soir, et comme Sega Marine Fishing (Arcade, PC, Dreamcast) ne gère pas le changement d’heure ou de climat, il est toujours un peu plus de 8 heures du soir, avec cette même qualité de lumière et les mêmes cirrus.
Huit heures du soir, l’heure du non-romanesque par excellence : tout le monde est chez soi, sur le point de manger. Trop tard pour qu’il se passe désormais quoi que ce soit : tout sera remis désormais au lendemain.



Oui, finalement, la scène doit se passer en septembre, pas en août : il fait encore beau, mais aucun habitant ne semble en profiter : ils sont tous trop fatigués par leur journée de travail pour profiter du fond de l’air encore si agréable. S’ils se promenaient, ils pourraient sentir en le respirant quelques pointes fraiches, l’approche de l’automne mais de toute façon non, ils ne sortiront pas ; il faut manger, encore laver les enfants, peut-être leur faire faire leurs devoirs et puis se reposer, pour tout recommencer demain. Pour eux, les vacances sont derrière, ou très loin devant.

Un 4x4 rouge sillonne inlassablement la route. Le conducteur cherche manifestement quelque chose ; il ressasse le même trajet, repasse toujours par cette même route qui longe la côte sur votre gauche, traverse la ville repliée sur elle-même, le pont, puis disparaît de l’autre côté, contourne la montagne pour réemprunter la même route qui longe la côte sur votre gauche, et recommencer sa boucle à l’infini.

À une centaine de mètres du port qui s’endort, sur des eaux qui paraissent assoupies elles-aussi, il y a vous. Vous qui en avez gros sur le coeur pour venir de si loin pêcher précisément ici.
Pour ce qui est du gros sur le coeur, devant le spectacle de cette ville qui se découpe si nettement en contre-jour, ce crépuscule qui ne s’éteint pas, et les poissons qui se battent pour mordre à votre hameçon, disons que ça s’arrange à vitesse grand V.

Et puis Masala est derrière vous. Masala, c’est un peu votre guide depuis que la pêche vous branche. Plus qu’un coach, parce que, vous voyez, c’est aussi spirituel : dès qu’il est là, la confiance règne, on est irrémédiablement frappé d’optimisme. Rien de fâcheux n’oserait arriver.
La veille que vous l’embauchiez dans ce bar des Antilles d’où vous ne sortiez plus à l’époque, un poivrot s’était adressé amoureusement à votre verre de gin et lui avait raconté comment Masala avait démoli à lui seul cinq bonshommes armés, sans doute des pirates. Seulement pour avoir manqué de respect à une amie, l’ivrogne avait tenu à préciser à votre verre, avant de le boire d’un trait et de vous jeter un regard comme s’il vous avait sifflé la plus belle fille du bal au moment du slow.
Alors bien sûr, sachant ça, quand vous l’avez rencontré le lendemain et que Masala vous a proposé de vous faire découvrir les meilleurs spots mondiaux de pêche, vous n’avez pas eu le coeur, ni le courage, de lui dire non… Et vous voilà au Japon.
Là maintenant, vous ne savez pas trop pourquoi vous repensez à cette histoire. Peut-être à cause du requin-marteau de 115 kilos qu’il est en train de remonter à lui tout seul, sans broncher, sur le bateau du capitaine.


Masala sourit et dit que c’est une belle prise. Il est décidément sympa Masala : il ne gâche pas votre plaisir en rappelant que lui, au large de son île, il en pêche tous les jours des deux fois plus gros, armé seulement d’un harpon et de palmes.

Au dixième requin-marteau de plus de 100 kilos en 10 minutes, il devient évident que le Japon est sûrement un coin sympa, mais que ses profondeurs sont très mal fréquentées : il y nage vraiment de drôles de choses, et pas des sympas.
Comment imaginer que sous cette petite ville si tranquille, tellement sécurisante avec son phare, entre les restes d’un magnifique temple et ces brise-vagues en tripode typiquement japonais rodent des bestioles aussi dangereuses à l’affut du moindre hameçon ?

C’est que finalement, il en va de ce port comme de vous. En profondeur, de sales choses ruminent, des choses pas forcément jolies, voire très désagréables. De sales choses qui ne demandent qu’à remonter vous arracher un mollet.
Quitte à ne pas réussir à les extraire une bonne fois pour toutes, au moins peut-on faire en sorte de les enfouir temporairement, assez profondément pour qu’elles ne rident plus la surface des choses. Au moins peut-on essayer de retrouver l’apparence d’un visage paisible comme un petit port de pêche japonais.