Sociologie sauvage 1 : l'ultramoderne méritude
Par Game A le 20 avril 2007 - Ça dénonce grave.4 minutes
Le ver dans le fruit du jeu…
Dans les premières semaines de sa sortie US, j’aimais beaucoup jouer à Metroid Prime Hunter. Mes petites bravoures m’avaient valu trois étoiles. Et puis tout a changé : je n’ai plus gagné un seul match et j’ai aussi sec perdu mes galons ; c’est devenu moins ludique.
Game B s’en était plaint il y a quelques mois : jouer à Metroid DS est devenu suicidaire, faute à l’Action Replay d’après lui.
Pour moi, le problème ne vient ni des nombreux tricheurs, ni même des joueurs, plus nombreux encore, qui sont devenus excellents : ce ne sont que les manifestations terminales de quelque chose de bien plus nocif : l’idéologie de la performance ultralibérale sous-tendue par le système de classement.
La faute au classement
[Mode Digression On]TM
La vie active, c’est quoi ? C’est apprendre quelques petites choses pour apparemment mériter nos diplômes et notre poste, et puis, en gros, arrêter là nos efforts intellectuels. Peu à peu s’engage une lente réduction de nos connaissances. Elles deviennent moins théoriques, plus pratiques peut-être, mais moins pointues, au point de rendre assez hasardeux de repasser les mêmes concours, les mêmes examens qu’auparavant. Ça ressemble à votre vie ? Félicitations, vous évoluez dans un système méritocratique : c’est très fatiguant au début, mais une fois que vous avez prouvé que vous méritiez votre situation, celle-ci reste acquise ; et vous, gentiment incompétents.
[Mode Digression Off]TM
Comme la plupart des jeux en ligne, votre classement à Metroid DS est fonction de vos victoires, (attention ça devient plus pervers) de vos défaites et du nombre de vos parties.
Pourquoi pervers ? Parce que, pour conserver votre classement, ce système vous oblige 1 ) à continuer à jouer pour égaler le nombre de parties de vos adversaires qui continuent à jouer de leur côté ; 2 ) à continuer de gagner sous peine de perdre vos titres.
Bref, il est conçu pour augmenter de plus en plus vos risques d’échecs (puisqu’on multiplie les parties et que les adversaires sont plus forts à mesure que l’on progresse soi-même), et, plus vicieux encore, augmenter leur impact si vous échouez effectivement (la sanction est plus sévère si vous êtes mieux classé que votre adversaire). Un cercle vicieux quoi.
Ici, on a changé de système : il ne s’agit plus de méritocratie, mais d’adhocratie[1]. Et c’est bien moins drôle : c’est la condition des travailleurs les plus exploités.
Tel qu’il est conçu, ce système de classement en ligne est une formidable usine à performance, car elle incite les joueurs à jouer inlassablement pour s’améliorer. Mais, justement en tant qu’usine à performance, elle produit potentiellement énormément de stress, de frustrations et finalement de comportements anti-ludiques. Car si l’utilisation de l’Action Replay n’est qu’une sorte de mécanisme de défense et de contournement de la violence symbolique exercée par ce système, elle témoigne d’une subversion du jeu en ligne, transformé en course à la performance pour la performance, sans aucun plaisir de jeu, complètement absurde[2].
Principe de Peter
On a parlé de mérite, parlons d’un sujet diamétralement opposé, parlons de Nintendo.
Alors que MPH est sorti en mai de l’an dernier en France, le système de statistiques n’est toujours pas fonctionnel sur la page française du site Nintendowifi (tant qu’on y est : les Ricains ont 20 jeux DS avec une fonction en ligne, et nous 5).
Version US et française (ci-dessous)
Alors vous allez me dire “tu devrais être content, ça évite les effets pervers dont tu te plains”.
Et ben non, je suis pas si content que ça : d’abord parce que ça rend sans objet mon exemple (qui s’applique pour autant à tous les systèmes mondiaux de classement, xbox live en tête - comment ça j’aurais pu le mentionner avant ?), ensuite parce que ça démontre une nouvelle fois que Nintendo s’est élevé à son niveau d’incompétence maximum, ce qui devrait me faire sourire à force, mais termine de m’accabler.
Notes
[1] Oké, je sais, Wiki donne une autre définition de l’adhocratie ; je me préfère me baser sur celle-là, qui m’arrange : “système social dans lequel les rôles, les pouvoirs et les bénéfices ne sont pas définitivement attachés à la personne en fonction de certifications de type scolaire (comme dans la méritocratie) mais lui sont alloués à titre précaire sur la base de compétences fonctionnelles utilisées « hic et nunc »” (Le choix de la pratique sportive. Analyse des facteurs d’influence, de Raymond Thomas).
[2] Certains joueurs sont manifestement parvenus à pirater le grand truc, puisqu’on arrive à certaines absurdités, comme ce Destructors aux 10000012 parties et à peu près autant de victimes à son actif. Le gros confectionne des “new systems to prevent cheating” il paraît…
Commentaires
Je suis d'accord avec tout ce qui a été dit.
J'ai été dégouté du wifi de MPH à cause de cette triche.
Et même du wifi tout court sur ds.
Lu sur www.xboxlive.fr, à propos de Shadowrun, le FPS cyber-magique :
"Par ailleurs, il n’y aura pas de parties avec classement. Les développeurs indiquant que les parties avec classement ne font qu’encourager la triche et autres bug exploits et que le fun est bien plus grand quand on joue avec ses amis et que la pression du classement a disparu."
Car ce phénomène a également et surtout lieu sur le Xbox Live ou la compétition se fait autour du "gamerscore". Cette obsession du chiffre élimine toute possibilité de fairplay, et certains jeu -comme le ping pong- permettent de choisir de jouer hors classement.
Malheureusement, y a jamais personne...
Les jeux étaient mieux quand fallait pas être obligé d'avoir des amis pour avoir tous les pokémon.
Moi je dis.
ok, c'est super ce que vous dites, mais qui est assez con pour avoir besoin d'être en haut d'un classement pour se sentir exister ?
ah oui, pardon, j'avais oublié le postulat de départ : l'humanité est stupide ^^
Mmmm, non, l'humanité n'est pas stupide, juste bon bougre.
Le truc, c'est que ce système empêche la stabilité, et le fait d'être juste moyen. Soit on monte, soit on descend, d'où le stress.
C'est pervers parce que les récompenses, les étoiles, ne sont jamais acquises pour de bon, et je t'assure que se faire siffler ses trois étoiles (qui n'est pas du tout le haut du classement, mais son milieu, j'ai oublié de le dire), on apprécie moyen.
Bon, ensuite, on ne peut pas en vouloir aux joueurs de vouloir gagner ;
on peut considérer que c'est un des buts de base d'un affrontement, quel qu'il soit. Donc, pour vouloir être en haut, ils ne sont pas cons. Ils sont même grandement stimulés par ce système de classement, très complet par ailleurs, et manifestement conçu pour eux.
Maintenant, pour toute une catégorie de joueurs qui ne veulent pas gagner à tout prix mais seulement s'amuser en faisant un ou deux coups d'éclat, genre moi, genre Ganesh j'ai l'impression, c'est juste devenu invivable, car pour gagner à tout prix, il faut :
- soit tricher comme un malade
- soit élaborer des stratégies proches de l'anti-jeu (du campage -on dit comme ça ?- à la déconnexion sauvage)
- soit devenir tellement bon que l'autre en face n'a aucune chance.
Dans un cas comme dans l'autre, pour celui en face, ne reste que l'ennui, l'impuissance et la colère.
Pour finir, et quelque part c'est ce qui me choque le plus, avec ces systèmes de classement, c'est l'inclusion dans la sphère du loisir d'une idéologie qui fait des ravages dans le monde de l'entreprise (les récents suicides à PSA ou Renault mettent directement en cause l'organisation adhocratique du travail, et cette fois-ci dans mon sens comme dans celui de wikipédia).
gloire à toi libéralisme
Perso je suis pas contre la compétition si effectivement elle est gérée dans un esprit a la fois equitable et intemporel.
C'est pour ça que la plupart des jeux multijoueur PC proposent plutot un système de points comme celui des echecs qui permet de gagner du grade quand on réussi a battre quelqu'un de plus gradé, et de ne rien gagner ou très peu lorsqu'on bat un moins gradé.
Après reste les problèmes liés à la triche...
Je précise un truc : je suis assez mauvais aux jeux avec compétition de manière générale, mais je comprends tout a fait qu'on puisse avoir envie de situer son niveau par rapport a d'autres joueurs.
C'est une opposition philosophique entre jouer pour le plaisir et jouer pour gagner. Certains ne trouvent la partie rentable qu'en cas de victoire, pour affirmer leur supériorité. Pendant que d'autres font primer l'importance de l'expérience et de l'échange social associé à la pratique ancestrale du Jeu.
L'un n'est pas mieux que l'autre, mais on devrait pouvoir avoir le choix d'une partie avec ou sans classement selon l'humeur.
Dans la même optique, l'intégration d'arbitres (joueurs ou corporatistes) -dans l'idée d'un Maitre de Jeu des bons vieux jeux de rôles- pourrait être un bon moyen d'assurer la qualité d'une partie. Ce serait plus efficace que le système d'évaluation entre joueurs qui dérape facilement.
Clair, c'est d'ailleurs ce qui pourrait faire que les MMORPG soient plus intéressants qu'actuellement. Malheureusement ça coute très très cher en gens :(
En tout cas c'est clair que Nintendo n'a pas du tout l'habitude des jeux multijoueurs (au sens "à distance") et n'a donc pas pu retenir les leçons propres aux jeux pc style Diablo1&2 multi, FPs multi et mmog.