Le ver dans le fruit du jeu…

Dans les premières semaines de sa sortie US, j’aimais beaucoup jouer à Metroid Prime Hunter. Mes petites bravoures m’avaient valu trois étoiles. Et puis tout a changé : je n’ai plus gagné un seul match et j’ai aussi sec perdu mes galons ; c’est devenu moins ludique.

Game B s’en était plaint il y a quelques mois : jouer à Metroid DS est devenu suicidaire, faute à l’Action Replay d’après lui.
Pour moi, le problème ne vient ni des nombreux tricheurs, ni même des joueurs, plus nombreux encore, qui sont devenus excellents : ce ne sont que les manifestations terminales de quelque chose de bien plus nocif : l’idéologie de la performance ultralibérale sous-tendue par le système de classement.

La faute au classement

[Mode Digression On]TM
La vie active, c’est quoi ? C’est apprendre quelques petites choses pour apparemment mériter nos diplômes et notre poste, et puis, en gros, arrêter là nos efforts intellectuels. Peu à peu s’engage une lente réduction de nos connaissances. Elles deviennent moins théoriques, plus pratiques peut-être, mais moins pointues, au point de rendre assez hasardeux de repasser les mêmes concours, les mêmes examens qu’auparavant. Ça ressemble à votre vie ? Félicitations, vous évoluez dans un système méritocratique : c’est très fatiguant au début, mais une fois que vous avez prouvé que vous méritiez votre situation, celle-ci reste acquise ; et vous, gentiment incompétents.
[Mode Digression Off]TM

Comme la plupart des jeux en ligne, votre classement à Metroid DS est fonction de vos victoires, (attention ça devient plus pervers) de vos défaites et du nombre de vos parties.
Pourquoi pervers ? Parce que, pour conserver votre classement, ce système vous oblige 1 ) à continuer à jouer pour égaler le nombre de parties de vos adversaires qui continuent à jouer de leur côté ; 2 ) à continuer de gagner sous peine de perdre vos titres.
Bref, il est conçu pour augmenter de plus en plus vos risques d’échecs (puisqu’on multiplie les parties et que les adversaires sont plus forts à mesure que l’on progresse soi-même), et, plus vicieux encore, augmenter leur impact si vous échouez effectivement (la sanction est plus sévère si vous êtes mieux classé que votre adversaire). Un cercle vicieux quoi.
Ici, on a changé de système : il ne s’agit plus de méritocratie, mais d’adhocratie[1]. Et c’est bien moins drôle : c’est la condition des travailleurs les plus exploités.

Tel qu’il est conçu, ce système de classement en ligne est une formidable usine à performance, car elle incite les joueurs à jouer inlassablement pour s’améliorer. Mais, justement en tant qu’usine à performance, elle produit potentiellement énormément de stress, de frustrations et finalement de comportements anti-ludiques. Car si l’utilisation de l’Action Replay n’est qu’une sorte de mécanisme de défense et de contournement de la violence symbolique exercée par ce système, elle témoigne d’une subversion du jeu en ligne, transformé en course à la performance pour la performance, sans aucun plaisir de jeu, complètement absurde[2].

Principe de Peter

On a parlé de mérite, parlons d’un sujet diamétralement opposé, parlons de Nintendo.
Alors que MPH est sorti en mai de l’an dernier en France, le système de statistiques n’est toujours pas fonctionnel sur la page française du site Nintendowifi (tant qu’on y est : les Ricains ont 20 jeux DS avec une fonction en ligne, et nous 5).

Version US et française (ci-dessous)

Alors vous allez me dire “tu devrais être content, ça évite les effets pervers dont tu te plains”.
Et ben non, je suis pas si content que ça : d’abord parce que ça rend sans objet mon exemple (qui s’applique pour autant à tous les systèmes mondiaux de classement, xbox live en tête - comment ça j’aurais pu le mentionner avant ?), ensuite parce que ça démontre une nouvelle fois que Nintendo s’est élevé à son niveau d’incompétence maximum, ce qui devrait me faire sourire à force, mais termine de m’accabler.

Notes

[1] Oké, je sais, Wiki donne une autre définition de l’adhocratie ; je me préfère me baser sur celle-là, qui m’arrange : “système social dans lequel les rôles, les pouvoirs et les bénéfices ne sont pas définitivement attachés à la personne en fonction de certifications de type scolaire (comme dans la méritocratie) mais lui sont alloués à titre précaire sur la base de compétences fonctionnelles utilisées « hic et nunc »” (Le choix de la pratique sportive. Analyse des facteurs d’influence, de Raymond Thomas).
[2] Certains joueurs sont manifestement parvenus à pirater le grand truc, puisqu’on arrive à certaines absurdités, comme ce Destructors aux 10000012 parties et à peu près autant de victimes à son actif. Le gros confectionne des “new systems to prevent cheating” il paraît…