Que je vous raconte ma vie. La semaine dernière, j’ai revu une ancienne camarade de lycée. Qu’est-ce que tu deviens, ah tu divorces, ça doit pas être facile, tu n’as pas changé, et cetera. Ce genre. Et puis, comme ça, très vite, on en est arrivés à parler des jeux vidéo : comment ça, tu joues encore ?, je ne peux pas comprendre, je pourrai jamais accepter ça, et cetera. (Les lecteurs attentifs auront remarqué qu’il ne s’agissait plus tout à fait d’un verre entre deux anciens camarades de classe.) À ce moment précis, j’ai eu mauvaise conscience. C’est vrai, presque dépressif pour cause de trentaine, je joue encore. Mais ce n’était pas seulement pour les boutonneux sans ami ?

Sur le site fendard de la Touch Génération, une page est consacrée aux “sans-âge”. Dans la bouche de Nintendo, c’est un compliment ; il désigne des “générations entières qui refusent de laisser les années les empêcher de faire les choses qu’ils aiment, qu’il s’agisse de s’adonner aux joies de l’apiculture [sic] ou de faire du VTT.” Le gros donne des exemples, qu’on comprenne bien : “un surfeur de 75 ans, un cascadeur de 68 ans, une culturiste de 52 ans, un patineur de 97 ans, un dompteur de lion de 88 ans…”. Moi, y repensant, tout honteux, devant mon thé et peut-être, la prochaine madame Game A, j’aurais bien rajouté “un joueur de 29 ans”.

L’enfance ? Mais c’est ici, nous n’en sommes jamais sortis

source http://www.theesa.com/facts/gamer_data.php
Je regardais les résultats d’une étude américaine de l’Entertainment Software Association, à laquelle l’article fait référence. Tout de même, 33 d’âge moyen pour un joueur, c’est dingue. Alors bien sûr, ok ok, ça prend en compte aussi les joueurs PC, c’est aux USA et pas forcément fait plus intelligemment que nos propres sondages présidentiels, mais tout de même. Qu’est-ce qui nous est arrivé, quel rite de passage on a manqué dans notre vie pour en arriver là ? (“Là”, c’est-à-dire au même point qu’avant.)

Pourtant, je m’en souviens, au collège, jouer n’allait déjà pas de soi, on transgressait déjà une forme de normalité. C’était pour les gamins.
Quinze ans après, ne rien avoir de mieux à faire dans sa vie qu’acheter une pshitt 3, est non seulement toléré, mais, plus encore, valorisé. D’ailleurs, pour Sony, “la moyenne d’âge ciblée est de 27 ans, voir [sic] plus.
Et puis, nous-mêmes, sur quoi joue-t-on presque tous depuis plus de 6 mois ? Sur une guitare playskool avec des boutons de couleurs différentes. Les jeux d’éveil pour enfants marchent sur le même principe. Ça et mes pokémon, je flippe, je me sens pas transgressif du tout, seulement régressif.

On nous abîme, on nous sépare. Les années passent, et nous n’avons pas changé

Dans son roman Ferdydurke (LP++), Gombrowicz raconte l’histoire d’un trentenaire mal-assuré, Joseph quelque chose, pas sûr d’appartenir totalement au monde des adultes, et que l’on renvoie un beau jour à l’école primaire. Comme ça, du jour au lendemain. Le regard des autres change, et il se transforme socialement, effectivement, en gamin. Gombrowicz appelle ça l’encuculement.

Devant mon demi (qui n’était peut-être qu’une grenadine), et qui sait, ma future, je me sens encuculé grave.


Je vous parlerai pas de suite de mon nouveau podomètre Nintendo, du coup.